J'espère que vous aimerez le personnaliser à votre goût ! 
Raye est un phénomène. Avouons-le tout de suite : son premier album, My 21st Century Blues, est notre favori de l'année. Un savant mélange de jazz, de R'n'B et de blues, à la fois inventif et captivant, qui a résonné en boucle dans nos oreilles depuis sa sortie, en février 2023. Originaire du sud de Londres, Rachel Agatha Keen, de son vrai nom, plonge dans la musique dès l'enfance, obsédée par l'idée de devenir une artiste à part entière. À 17 ans, après avoir fréquenté la prestigieuse Brit School (où sont également passées Amy Winehouse et Adèle), elle signe son premier contrat avec le label Polydor, qui appartient à la major Universal Music. S'ensuivent sept années confuses, durant lesquelles la jeune femme se retrouve à chanter sur des compositions dance pop, aux côtés des plus gros DJs du monde (à l'instar du Français David Guetta). Elle se perd dans cet univers qui ne lui ressemble pas, et sombre dans différentes addictions. En réalité, Raye n'a qu'une aspiration : sortir un album qui soit le sien, entièrement, sans compromis artistique. Mais plus les années passent, plus ce rêve devient flou.
Nous sommes en juin 2021 lorsque Raye poste une série de tweets qui relèvent du désespoir. Dans certaines vidéos, elle apparait en pleurs, désemparée. “Ces sept derniers jours, je me suis réveillée en pleurant, sans vouloir sortir du lit et en me sentant si seule” pouvait-on lire. “J’ai fait tout ce qu’ils m’ont demandé, j’ai changé de genre de musique, j’ai travaillé 7 jours sur 7, demandez à n’importe qui dans cette industrie, ils le savent. J’en ai assez d’être une gentille pop star. Je veux faire mon album maintenant, s’il vous plaît, c’est tout ce que je veux”.
La réponse de Polydor ne se fait pas attendre : le contrat de Raye est rompu. S'ouvre alors une nouvelle voie pour l'artiste : celle de l'indépendance. Elle la prend avec courage, et dévoile, en février 2023, son premier album : My 21st Century Blues. Un opus qui lui a permis de partir en tournée dans le monde entier et d'obtenir son premier single n°1 au Royaume-Uni avec “Escapism”, une collaboration avec la rappeuse américaine 070 Shake., ou encore de battre des records à la prestigieuse cérémonie des BRIT Awards ce 2 mars 2024, remportant les prix de l'album, de l'artiste, de la chanson et de l'autrice-compositrice de l'année, ainsi que ceux de la meilleure nouvelle artiste et de la meilleure chanteuse R'n'B. En recevant le prix le plus convoité de la soirée, celui de l'album de l'année, Raye a fait monter sa grand-mère sur scène : “Je pleure à chaudes larmes à la télévision nationale ! Je suis tellement fière de cet album, j'aime tellement la musique - tout ce que j'ai toujours voulu, c'est être une artiste”.
De passage à Paris le temps d'une journée en novembre 2023, Raye s'était prêtée au jeu de l'interview avec Vogue, dans les loges de la sublime salle de La Cigale, à Paris. L'occasion d'échanger sur son parcours, son premier album, et l'enregistrement de ce dernier en version orchestrale dans l'antre prestigieuse du Royal Albert Hall de Londres, avec près de 90 musiciens sur scène.
Rencontre avec Raye, multi-récompensée au BRIT Awards 2024
Vogue. Parlons de la version orchestrale de votre album, enregistrée au Royal Albert Hall à Londres. Comment en êtes-vous arrivée là ?
Raye. C'est moi qui ai proposé cette idée à mon tourneur au Royaume-Uni. C'était une salle que je souhaitais faire depuis longtemps, elle est impressionnante ! Au début, mon équipe était un peu sceptique [ndlr : le Royal Albert Hall a une capacité de plus de 5 000 places], mais j'ai défendu mon projet de faire un concert filmé, enregistré, avec un arrangement orchestral complet. Depuis mon plus jeune âge, je suis obsédée par les musiciens. Ce sont des gens qui me laissent toujours bouche bée, qu'ils jouent du saxophone ou du piano. Alors pourquoi ne pas en convier 90 sur scène avec moi ?
Même lors de votre tournée, vous êtes accompagnée de six musiciens sur scène. C'est audacieux, sachant que cela augmente considérablement les coûts !
Clairement, on ne prend pas de telles décisions pour faire du profit. Car ce n'est pas le cas ! Tout l'argent que j'ai gagné avec mon album My 21st Century Blues, je le dépense sur cette tournée. La musique, c'est un échappatoire, d'autant plus quand elle est jouée en live. C'est pour ça que je veux toujours faire mon maximum pour bâtir des shows inoubliables, et ce concert au Royal Albert Hall, c'est peut-être l'un de mes plus beaux accomplissements.
Lors de certains concert, vous vous déshabillez pendant le morceau “Body Dysmorphia”. Comment trouve-t-on le courage de se mettre, littéralement, à nu ?
Pour être honnête, je déteste ce moment. Ce n'est clairement pas pour m'amuser que je le fais. Et d'ailleurs, c'est au Royal Albert Hall que je l'ai fait pour la dernière fois – j'ai pris la décision d'arrêter. Quand je me suis lancée en indépendante, je me suis promis d'être honnête, et l'honnêteté n'est pas toujours facile à pratiquer. Mais c'est important. Monter sur scène, enlever mes vêtements alors que je ne suis pas la personne la plus à l'aise avec mon propre corps, c'est une manière de dire : “Je sais que je ne suis pas la seule”. Mais j'en ai détesté tous les aspects, je manque cruellement de confiance en moi. Je fermais systématiquement les yeux, je chantais le morceau, et je quittais la scène le plus vite possible.
Dans les cauchemars les plus récurrents des artistes avant de monter sur scène, il y a celui de se trouver nu face au public !
Je confirme : c'est un vrai cauchemar. Et vous savez, même mes sous-vêtements étaient pensés. Je ne voulais surtout pas renvoyer une image glamour ou sexy, mais simplement authentique.
“Tout l'argent que j'ai gagné avec mon album, je le dépense dans ma tournée”
Vos concerts sont également portés par votre amour pour la musique jazz. Qu'est-ce qui est si fascinant, pour vous, dans ce genre musical ?
C'est une très bonne question. Je pense que pour moi, dans un premier temps, c'est sa chaleur. Je commence mes journées avec du jazz, pour démarrer sur un bon pied. Ensuite, j'aime beaucoup la célébration des musiciens. C'est un genre dans lequel il n'y a aucune règle : les sensations passent avant. Ce n'est pas de la musique qui se lit sur une partition, ou que l'on doit répéter pendant des heures afin qu'elle soit parfaite. C'est la liberté, la spontanéité. Et enfin, j'aime l'aspect traditionnel du jazz. Pas d'ordinateur, pas de sonorités électroniques, pas de synthétiseurs : juste des instruments organiques, complètement dépouillés. Impossible de faire semblant !
L'apprentissage du jazz vous a-t-il fait lire la musique autrement ?
Tout à fait. Prenez les meilleurs rappeurs de tous les temps. Ils utilisent tous des samples des grands du jazz. Quand j'ai commencé à approfondir ma connaissance de ce genre musical, ça m'a également fait comprendre ce qui était important. Quand j'écrivais des morceaux de dance pop pour d'autres, j'étais très préoccupée par la structure des chansons, ça en devenait presque mathématique. À partir du moment où je me suis immergée dans le jazz, tout ça est devenu anecdotique. La liberté importait plus que tout.
La plupart de vos morceaux sont écrits à partir d'expériences que vous avez réellement vécues. Pourriez-vous écrire des chansons qui relèveraient de la fiction ?
Oh oui, assurément. J'ai dû le faire lorsque j'écrivais pour d'autres artistes [ndlr : Raye a notamment écrit pour Beyoncé]. C'est tout un travail : vous devez vous mettre à leur place, essayer de ressentir ce qu'ils ou elles ont pu ressentir. J'adore raconter des histoires, même si elles ne sont pas les miennes. J'ai commencé à explorer cela davantage ces derniers temps, pendant la tournée.
Avez-vous le temps d'écrire pendant la tournée ? De vous balader, d'errer dans les villes où vous vous rendez ?
Non, pas vraiment ! Mon équipe me propose souvent de sortir pour prendre l'air, mais je préfère me concentrer sur les concerts. Mon spectacle dure deux heures, je donne beaucoup de ma voix, nous enchaînons les dates, parfois trois ou quatre d'affilées, puis nous avons droit à un jour de congé. Mon corps a besoin de se reposer. Si je tombe malade, la première chose qui est touchée, c'est ma gorge. Si j'étais DJ, je serais partout ! J'irais faire du tourisme, probablement du côté de la tour Eiffel. J'aurais un verre de vin à mes côtés ! Mais je ne suis pas DJ. La discipline est ma faiblesse, et pour la première fois, je dois agir comme un athlète.
Comment voyez-vous l'avenir, une fois cette tournée terminée ?
Bonne question… Obsédée par la musique comme je suis, j'ai juste envie de faire plein d'albums. Mais peu importe ce que je ferai : je veux juste bâtir des choses géniales, et je me sentir bien. Demeurer honnête, et ne jamais devenir ennuyeuse. Repousser mes propres limites.
L'histoire est connue : à 17 ans, vous signez en maison de disques, et pendant sept ans, on vous empêche de sortir un album. En 2021, poussée à bout, vous publiez des vidéos de vous en larmes sur X (anciennement Twitter). Votre contrat est rompu, vous épousez la vie d'artiste indépendante, et votre premier album voit le jour. Si vous aviez 17 ans aujourd'hui, signeriez-vous ce contrat ?
Le regret est l'un des sentiments les plus difficiles à digérer. Si je plongeais dans mes regrets, je me noierais probablement dedans, jusqu'à en perdre le sommeil. Quand je réfléchis à ma vie, à ma trajectoire, je me sens juste tellement chanceuse, en tant qu'artiste, d'avoir pu recommencer. Je me souviens de ce moment, juste avant que je ne me lance en indépendante : j'avais honte de l'artiste que j'étais devenue. Je ne veux surtout par condamner les gens qui aimaient les chansons que je sortais alors, mais j'étais déçue de moi-même. J'avais du mal à me prendre au sérieux. D'avoir eu la chance de partir et de recommencer… je croyais que c'était impossible. Je ne peux qu'être reconnaissante. Alors est-ce que j'aurais voulu que mon histoire se déroule différemment ? Non, je ne crois pas. Je n'irai pas jusqu'à dire que mon album vaut toutes les merdes que j'ai dû traverser, mais c'est un très beau résultat que j'ai réussi à construire.
Vous devez votre indépendance à X/Twitter, et votre premier single n°1 a été propulsé par TikTok. Les considérez-vous comme une nouvelle force pour les artistes ?
Je suis à la fois reconnaissante pour les réseaux sociaux et j'en suis terrifiée. J'en discutais récemment avec mon ami Fred Again.., qui ne regarde absolument pas les commentaires. Je n'ai pas sa force, celle de poster sans lire ce que les gens disent. Mais c'est vrai : les réseaux sociaux ont accompli des miracles pour ma carrière. Nous ne serions probablement pas en train de discuter à cet instant, vous et moi, sans les réseaux sociaux.
Qu'est-ce qui vous a permis de tenir le coup, dans vos moments les plus sombres ?
Ma famille et ma foi. Et puis la musique, évidemment.
My 21st Century Blues, disponible.
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