J'espère que vous aimerez le personnaliser à votre goût ! 
Si le refrain entraînant de “My Love Mine All Mine” n’est pas parvenu jusqu’à vos oreilles en 2023, peut-être vivez-vous dans une grotte. Ou peut-être préférez-vous vous tenir à distance des réseaux sociaux. Et vous avez peut-être raison. Car oui, le tube de la musicienne américaine Mitski s’est vu propulsé par l’application chinoise Tik Tok. Mais il serait dommage de se priver d’un talent comme celui de la trentenaire, qui fait office de figure incontournable au sein de la scène alternative des États-Unis, depuis dix années déjà. Portrait d’une artiste discrète mais brillante, aux mélodies remplies d’un doux chagrin.
Mitski, l’écriture comme un couteau
Née d’une mère japonaise d’un père américain diplomate, Mitski Miyawaki passe une enfance dans les airs, à la découverte des quatre coins du monde. C’est toutefois à New York qu’elle choisit d’étudier la musique au Conservatoire de musique du Purchase College, avant que sa carrière ne décolle réellement. Lush, son premier album, voit le jour en 2012, alors qu’elle est encore étudiante. Une œuvre aux émotions brutes, comme le sont souvent les premières, qui témoigne d’une quête désespérée de validation. La plupart des chansons ont été écrites alors que Mitski avait à peine 18 ans. Un an plus tard, Retired from Sad, New Career in Business, son deuxième album, fait office de travail final pour son cursus scolaire, et intègre d’ores et déjà certains éléments orchestraux, qui rythment la plupart de ses sept albums. Dans des textes similaires à ceux de Lush, la jeune femme se confie sur sa peur de l’intimité et son passage à l’âge adulte – processus ô combien terrifiant.
De Mitski à James Blake, de Romy à Cautious Clay… Entre territoires jazz, pop, rock ou encore électro, les disques de la rentrée s'en donnent à coeur joie, entre hymnes dansants et ballades exutoires.
Les différents disques de Mitski sont parcourus de blessures multiples, que la compositrice retranscrit comme à la fois comme sujet et comme observatrice extérieure. Jonglant entre les points de vue, elle a très vite été acclamée pour ses mots déchirants : “J’ai toujours été celle qui observe de l’extérieur, explique-t-elle dans un communiqué. Même avec moi-même, je me sens extérieur à ma propre personne. Je suis mon propre témoin, je me regarde”. Une manière d’écrire qui lui a valu d’être comparée à une Lana Del Rey ou encore à une Billie Eilish, notamment pour ses vertus thérapeutiques. Sans doute grâce aux thèmes intimes qui hantent toute son œuvre, qui, malgré une réticence à partager sa vie privée, en disent long sur les expériences et les relations de l’artiste : “Je ne veux jamais dire que mes chansons sont fictives, parce qu’elles naissent toutes de mes sentiments et de mes observations – il s'agit simplement d'assembler différentes parties de ma vie pour qu'elles racontent une histoire cohérente” annonçait-elle au journal britannique The Guardian en 2022.
Une certaine idée de la folk américaine
Aujourd’hui, Mitski vit à Nashville, berceau mondial de la country. Un genre musical tristement caricaturé comme celui d’une Amérique blanche et chrétienne, voire raciste. Si cette affirmation a pu être vraie par le passé, la country s’est incroyablement diversifiée, voire pop-isée, au cours des dernières années. En tant que nippo-américaine, Mitski a pourtant encore du mal à évoluer dans l’industrie musicale, toujours hantée par ses vieux démons. “Je suis sans cesse confrontée au fait d’être un objet que l’on regarde, à la fois en tant que femme et en tant que personne asiatique, précise-t-elle, toujours au Guardian. Les gens projettent des fantasmes sur moi”. Sans doute l’une des raisons pour lesquelles l’Américaine se méfie tant des réseaux sociaux, et de toute prise de parole publique, qu’elle minimise autant qu’elle peut. Si vous souhaitez connaître Mitski, écoutez plutôt sa musique, donc.
Après une carrière infusée de sonorités rock, folk et country, son sixième album, Lauren Hell, marque un virage subtile vers une pop scintillante, empruntée aux années 80. Un opus perçu comme plus sincère, joyeux et lumineux, qui l’amène à assurer les premières parties du chanteur britannique Harry Styles au stade Wembley à Londres. Sur le disque, on peut par exemple croiser le compositeur Dan Wilson, qui se trouve également derrière le tube d’Adele, “Someone Like You”. Comme la préparation de son septième et dernier album à ce jour, sorti en septembre 2023 et qui mêle à merveille la pop et la folk, dans un équilibre presque parfait.
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The Land Is Inhospitable and So Are We, un septième album comme une complainte amoureuse
En français, on pourrait traduire le titre du dernier album de Mitski ainsi : “La terre est inhospitalière, et nous aussi”. Titre infiniment poétique s’il en est, qui permet à la chanteuse d’aborder le thème éternel de l’amour, qu’elle pense comme un acte radical et disruptif, dans un monde aussi aride et difficile que le nôtre : “La meilleure chose que j’ai faite dans ma vie, c’est d’aimer les gens autour de moi, affirme-t-elle dans un texte qui accompagne le disque. J'aimerais pouvoir laisser derrière moi tout l'amour que j'ai, après ma mort, afin de faire rayonner toute cette bonté, tout ce bon amour que j'ai créé sur d'autres personnes”. Chez Mitski, il faut alors comprendre l’amour comme clef de l’humanité, comme l’unique sentiment qui pourrait enfin donner un sens à nos existences désolées.
The Land Is Inhospitable and So Are We est également un album résolument américain dans les sonorités qu’il explore, tant il est hanté par la tradition folk des États-Unis. Ses onze chansons ressemblent tantôt à des complaintes dramatiques, tantôt à des incantations époques, portées par de vastes harmonies orchestrales. Écrites au fil des ans, elles ont finalement été enregistrées entre Nashville et Los Angeles, ville des étoiles et du rêve. Co-produit avec Patrick Hyland, collaborateur de longue date de Mitski, ce septième disque puise ses influences entre les bandes originales composées pour les westerns spaghetti d’Ennio Morricone, l’énergie d’un Scott Walker ou celle d’un Caetano Veloso. La palette est aussi large qu’elle est unique.
Passée d’artiste rock au charme discret à icône générationnelle grâce à l’impossible mystère des algorithmes, Mitski parvient à rendre les évènements les plus ordinaires de nos vies quotidiennes en drames épiques aux enjeux transcendants. Une qualité qui fait, c'est certain, les grands artistes. Elle sera de passage en France les 17 et 18 mai prochain au Grand Rex (Paris), et les billets sont d’ores et déjà disponibles.
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