Qui est Lucky Love, l’artiste français entendu au défilé Gucci ?

Difficile de faire plus beau qu’un tel nom de scène : Lucky Love. L’amour chanceux. Un nom presque aussi ravissant qu’il est étonnant, tant l’histoire de la musique s’est bâtie sur le désamour et les cœurs déchirés. Dans ses textes, Luc Bruyère (de son vrai nom) explore les affres du sentiment amoureux, tout en interrogeant les notions de genre – et surtout de masculinité. Une approche à la fois sentimentale et romanesque de la musique, qui lui a valu d’être sélectionné par le producteur américain Mark Ronson pour figurer à la bande originale du défilé Gucci durant la Fashion Week homme automne-hiver 2024-2025 de Milan. L’occasion de revenir sur le parcours déjà riche du jeune artiste pluridisciplinaire.

Lucky Love, dandy adoré par la mode

Avec le défilé Gucci homme automne-hiver 2024-2025, Sabato De Sarno n’est pas le premier créateur à faire résonner les morceaux de Lucky Love au cœur de la Fashion Week. John Galliano offrait déjà une plateforme similaire à l'artiste français lors du défilé printemps-été 2024 Maison Margiela. C’était alors son morceau “MASCULINITY” qui ouvrait l’évènement, co-composé par les producteurs Paco del Rosso et Prinzly, célèbres pour leur collaboration de longue date avec le rappeur belge Damso. Un titre qui s’attaque aux normes de la virilité dans une série de questions vengeresses : “Est-ce que j’embrasse comme un garçon ? Devrais-je cracher comme un garçon ? Puis-je baiser d’autres garçons ?” interroge l’artiste dans une voix à la limite de se briser.

Il n’est pas surprenant de voir un tel hymne résonner à ce point dans l’univers de la mode masculine, au point de devenir la bande originale de non pas un, mais deux défilés en moins d’un an. Alors que l’idée même de la masculinité est une notion que d’aucuns rejettent, d’autres déconstruisent, la mode se trouve elle-même en pleine remise en question, à la fois prisonnière et instigatrice des rôles de genre. Ces dernières années, l’éclosion des défilés mixtes (Alessandro Michele opère ce changement chez Gucci dès 2016) et du rejet des étiquettes par les jeunes créateur·ices sont flagrants, de Anthony Alvarez avec Bluemarble à Florentin Glémarec et de Kevin Nompeix, créateurs du label Egonlab. Mais l’année 2023 semble avoir accéléré le processus : Thom Browne inaugurait son premier défilé mixte haute couture en juillet, tandis que la maison italienne Etro a annoncé présenter un défilé mixte lors de la Fashion week de Milan en février 2024.

Parcours protéiforme

Le lien entre Lucky Love et la mode est une évidence, pour celui qui a commencé sa carrière dans le mannequinat. À vrai dire, de la danse au théâtre, en passant par la poésie : difficile de trouver un champ artistique que Luc Bruyère n’a pas tenté de conquérir. Le langage est guerrier, mais la démarche est douce. Elle est motivée par un amour immodéré de l’expression poétique, sous toutes ses formes. Né à Lille avec un bras en moins, le jeune homme vit une enfance isolée des autres, au cours de laquelle les mots deviennent de précieux alliés, qui ne le quittent jamais – qu’ils soient de Rimbaud, ou de Patti Smith. Comme la naissance d’une affection particulière pour les figures de paria. Faut-il voir dans le rejet de ses semblables, la naissance d’une rage puissante, d’un désir irrémédiable de vivre mille vies ? C’est en tout cas le sentiment qui semble guider chaque pas de l’artiste, qui semble d’ores et déjà avoir touché à tout.

D’abord, il est apprenti danseur, dès 5 ans, auprès de la chorégraphe Carolyn Carlson au Centre Chorégraphique National de Roubaix, avant de s’envoler jusqu’à l’Opéra de Paris, où il côtoie Marie-Agnès Gillot. Une première introduction à la musique donc, puisque l’intéressé déclare à l'émission Basique : “Quand on danse on écoute tout, et on danse sur tout”. Enfant solitaire et turbulent, il essuie de nombreux renvois avant d’intégrer Saint-Luc, l’école supérieure des arts située à Bruxelles, où il se destine à devenir plasticien. Mais le destin – ainsi qu’une courte apparition dans La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche – le mènent jusqu’aux portes du Cours Florent, il foule les planches avec Béatrice Dalle et JoeyStarr dans la pièce Elephant Man de David Bobée, présentée à Paris en 2019. Au cabaret Madame Arthur, il est travesti et devient “La Vénus aux Mille Hommes”, sobriquet emprunté notamment du fait de son amusant acronyme – LVMH. “Elle m’a permis de toucher ma vérité” déclare l’artiste dans le documentaire Lucky qui lui est consacré, réalisé par Anthony Vibert et Loren Denis (2022). Par sa vérité, comprendre sa musique.

Pour l’amour de la pop

TENDRESSE, le premier EP de Lucky Love sort en juin 2023. Comme la promesse d’un nouveau chemin emprunté, encore. Un EP inspiré par des figures comme Arca ou Kae Tempest, et où l’on croise la chanteuse Juliette Armanet, proche du jeune homme, mais pas que. Pour bâtir les fondations de sa carrière de chanteur, Luc Bruyère s’est entouré des producteurs les plus demandés du moment. D’abord avec les précédemment nommés Paco del Rosso et Prinzly, puis avec Nicolas Petitfrère, alias Nömak, un Français proche de l’écurie PC Music (label du producteur britannique A. G. Cook, actif entre 2013 et 2023) et collaborateur de Charli XCX ou de Lolo Zouai. En résulte un projet de six titres à la texture presque aussi douce et élégante que du velours. “Ma musique se situe pile poil entre la fête et le moment juste après la fête, car je suis quelqu'un d'extrêmement mélancolique” déclarait l’intéressé à GQ comme pour situer son identité dans un espace-temps indéfinissable – mystique. Retenons surtout que la musique de Lucky Love, résolument pop et grandiloquente (prenez “Now I Don’t Need Your Love”, son plus récent morceau), ne parle que d’amour, qu’il soit heureux ou tragique. Le plus souvent, il est surtout libérateur.